Nacht und Nebel

Le 7 décembre 1941 correspond à une date qu’il faut absolument commémorer, car elle se démarque par un appel occulte aux puissances des ténèbres, sollicitées ce jour-là pour activer le voile panoptique indispensable à la transformation d’un pouvoir totalitaire ordinaire en pouvoir absolu. « Nacht und Nebel » (Nuit et brouillard), révèle le nom de code d’une importante directive d’Adolf Hitler, donnée le 7 décembre 1941, dans le but d’éliminer toute résistance à son pouvoir ; c’est-à-dire « toute personne mettant en danger la sécurité allemande » dans les territoires occupés par l’Allemagne nazie. Le nom de code s’attribue les paroles envoûtantes tirées d’un sortilège déclamé pour activer la magie du Tarnhelm ou "casque furtif", forgé et mis à contribution dans L’Or du Rhin, premier opéra de la sombre tétralogie wagnérienne, connue sous le titre de L’Anneau du Nibelung
 

Les choses ont évolué depuis l’Allemagne nazie. De nous jours il n’est plus question de « sécurité allemande », puisque la nouvelle Allemagne s’intègre parfaitement dans une alliance militaire extrêmement puissante, mais qui elle aussi ressent le besoin d’éliminer ceux qui s’opposent à son hégémonie. Ce qui frappe l’imagination ces temps-ci, c’est la multiplicité et la multipolarité des fascismes qui contribuent collectivement au chaos de la mondialisation en cours. Le dictionnaire Larousse nous rappelle que le fascisme s’identifie par une « attitude autoritaire, arbitraire, violente et dictatoriale imposée par quelqu’un à un groupe quelconque ou à son entourage ». 

 


 

Pour confronter le fascisme dans toutes ses déclinaisons, il faudrait se positionner du côté de l’anarchie, sans pour autant renoncer à une forme minimale d’ordre (de nature purement artistique), qui parviendrait tant bien que mal à ritualiser et sublimer la violence propre aux élans martiaux de notre élite génocidaire, acquise à l’idéologie de sa « destinée manifeste » atlantiste, cultivée au sein d’un clan aux valeurs depuis longtemps suspectes. Défi de taille, pour le moins que l’on puisse dire.

Mais revenons à Richard Wagner et à L’Or du Rhin. Das Rheingold se réfère effectivement à l’or du Rhin, mais aussi à l’or pur, ne serait-ce que par un petit jeu de mots ‒ rein gold ‒ qui s’impose facilement à l’esprit. L’or pur des origines, souillé par un nain refoulé et orgueilleux (le Nibelung Alberich), ayant osé renoncer à l’amour (mais pas au sexe) pour se l’approprier, appartenait depuis toujours aux filles du Rhin (pures, elles aussi, mais pas tant que ça…). Le vol archétypal de l’or pur par Alberich, n’est rien d’autre que le péché originel, selon Wagner. 
 

 
Toujours chez Wagner et toujours dans Das Rheingold, revenons au poème du livret pour rencontrer Mime, le forgeron créateur du « casque furtif », prototype des technologies mises en œuvre pour contrôler les futures générations d’esclaves. Dans la mythologie wagnérienne, le « casque furtif » ou Tarnhelm aura été conçu et spécifié par Alberich, frère du forgeron Mime. Alberich est le premier propriétaire de l’anneau magique qui confère un pouvoir absolu à celui qui le détient. Après avoir renoncé à l’amour, il s’est servi de l’or pur des filles du Rhin pour forger son anneau. Et c’est notre Alberich qui va déclamer l’incantation « Nacht und Nebel », afin d’invoquer la magie du Tarnhelm, au moment précis où il parvient à le soutirer à son frère réticent. Les aveux d’Alberich, tirés de son altercation avec Mime, révèlent la raison d’être du Tarnhelm :

ALBERICH (décide de confronter Mime, qui lui cache sa dernière création)

De ci, de là… quoi ? Montre le bibelot, tel qu’il est !

(Mime laisse tomber le tas de mailles métalliques, qu’il voulait cacher tant bien que mal. Alberich ramasse l’objet et l’examine en détail)

Voyez le fourbe ! tout est parfaitement forgé et conforme à mes ordres ! […]

(il met la coiffe en cotte de mailles sur sa tête)

Le Tarnhelm est revêtu, comment savoir si son charme opère ?

(l’incantation arrive)

« Nacht und Nebel - niemand gleich! »

(Ténèbres et brouillard — personne, déjà !)

LA VOIX DÉSINCARNÉE D'ALBERICH poursuit Mime en ricanant

Merci pour ton œuvre, imbécile ! Elle fait son office à merveille. — Hoho ! Hoho ! les Nibelungen, courbez vos échines devant Alberich, tous ! Partout il sera présent désormais, à vous surveiller. Plus de repos, plus de répit pour vous ; c’est pour lui que vous serez à la peine et vous ne le verrez pas. S’il reste invisible, tremblez de peur qu’il ne survienne : vous êtes, à jamais, ses esclaves ! 
 


Le plan de base est là, dans toute sa simplicité. Pas besoin d’une imagination fertile pour retrouver le Tarnhelm dans l’espace numérique contemporain, où la surveillance panoptique s’incruste sans grande opposition. L’invocation hitlérienne du sortilège cher à Alberich convient parfaitement à la cabale de psychopathes cachés derrière le pouvoir officiel, dont les turpitudes exigent une certaine invisibilité.

On m’a fait remarquer que je n’arrête pas de parler de crépuscule, de nuit qui s’avance et d’obscurité qui s’abat sur une société en voie de désintégration. Je ne renie rien et justifie l’image par quelques éléments de langage tirés du vocabulaire des « premiers de cordée » de l’époque hitlérienne, chez qui le mot allemand führer (celui qui guide, qui ouvre la voie) parvient parfaitement à transmettre la notion d’un Ordre noir en mouvement, sans avoir à s’appuyer sur la lourde dialectique montagnarde. Mais peut-être s’agit-il, chez nous, d’une renaissance tardive d’un fascisme issu de la Révolution française, où les députés de l'Assemblée législative de 1791, les plus à gauche, prirent le nom de « Montagnards » et où « Les Enragés », qualifiés de subversifs (car exprimant la volonté populaire contre les spéculations et magouilles commerçantes) furent mis à mort par les Montagnards ? 
 

 
Nacht und Nebel ! À Davos, sur la Montagne magique de Thomas Mann, les élites mondialistes floutées, malades et contagieuses, s’apprêtent à formuler de nouvelles directives. En bas dans la cité, l’insouciance domine : le temps est bon, le ciel est bleu

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