Un fantôme anarchiste ?
Il est temps de parler de choses sérieuses. Le monde virtuel vers lequel la cité panoptique nous dirige (pour nous y emprisonner à jamais), émerge rapidement d'un chaos institutionnalisé et instrumentalisé par l'élite transhumaniste fébrile, impatiente de s’affranchir de l’ultime étape : celle qui mène au contrôle total de notre humanité caduque, à présent inutile. Le projet ne date pas d’hier et il est temps de réagir.
Il est relativement aisé de prouver que toutes nos institutions (sans exception et à l’échelle globale) sont à présent corrompues et qu’il est inutile de chercher des solutions à ce déclin irréversible en se réclamant d’un système politique quelconque, tout en prétendant le réformer ou le révolutionner. Les slogans d’antan ne sont même plus crédibles. Droite, gauche, capitaliste, communiste, centriste : aucun mouvement ne parviendra à imposer son idéal, dépassé depuis longtemps. Le chaos va tout dissoudre.
Il reste néanmoins la certitude que la catastrophe aurait pu être évitée, à condition de s’en tenir à des pratiques prudentes dans le cadre de notre développement personnel et de celui de nos institutions. Mais ça veut dire quoi, exactement ?
De manière générale, cela revient à dire que l’ennemi mortel d’un individu ou d’un peuple n’est pas son voisin ou un fléau quelconque, mais le maître ou l’État auquel il aura délégué le pouvoir qui est censé le protéger. Pour s’en convaincre, revenons sur les mots d’ordre chers à l’État. Il y est parfois question de « dictature du prolétariat » ou de valeurs aguichantes du genre « liberté » et « démocratie », qui font croire que le pouvoir vient du côté du faible. Pas besoin d’être royaliste pour comprendre que ces formules impliquent un nivellement par le bas et une « liberté » abstraite, dont on ne peut jouir que dans le cadre de règles complexes établies par l’État. Et l’État c’est l’ordre avant tout ! Celui qu’il faut combattre si on veut être libre.
Tout ceci devient parfaitement limpide lorsque l’on se penche sur la définition de l’anarchie donnée par le dictionnaire Le Robert, qui précise qu’elle est le « désordre résultant d’une absence ou d’une carence d’autorité » ou alors de la « confusion due à l’absence de règles ou d’ordres précis ». Mais ce ne sont là que des formulations intéressées, habilement forgées par les sbires encyclopédistes du pouvoir dominant, chargés de marginaliser l’individualité dans ses manifestations les plus instinctives.
L’étymologie nous apprend que le terme anarchie est dérivé du grec « ἀναρχία » (« anarkhia »). Composé du préfixe a- privatif an- (en grec αν, « sans », « privé de ») et du mot arkhê, (en grec ἀρχή, « origine », « principe », « pouvoir » ou « commandement »). Nous y voilà donc : il faut faire « sans ». Et ceci n’est certainement pas en harmonie avec les valeurs de la société de consommation contemporaine, qu’elle soit occidentale, orientale, éclairée ou totalitaire, où marketing et propagande fusionnent pour contrôler l’individu et lui apprendre à faire « avec ».
À ces définitions officielles et négatives de l’anarchie, on peut opposer une vision plus juste en introduisant la notion d’autosuffisance maximale, qui s’applique à chaque individu, et celle d’autonomie, qui définit l’essence d’une communauté en équilibre avec son environnement, gérable sans recourt à la loi du plus fort. Une multitude de petites communautés autonomes résiste bien mieux aux défis du temps qu’un grand État centralisé sans contact intime avec ses citoyens.
L’autonomie (dont le sens provient de la juxtaposition de deux mots grecs : auto, « soi-même », et nomos, « loi » ou « règle ») est le cauchemar des idéologues bâtisseurs d’États. C’est un concept qu’on évite prudemment dans les milieux politiques bien pensants. Staline l’avait compris à l’époque où l’ingénierie sociale était à son apogée. Il savait que tout paysan installé sur un bout de terrain, avec un petit bois et un potager, parfois propriétaire de quelques poules, d’une vache et d’un cheval, n’avait absolument rien à foutre des préceptes du Marxisme-Léninisme et des plans de la caste qui voulait l’embrigader dans son délire progressiste. C’est d’ailleurs pour ça que les paysans se sont retrouvés dépossédés et collectivisés à l’intérieur d’un kolkhoze productiviste, où ils contribuaient malgré eux à la plus grande gloire du Parti (ad majorem Lenini gloriam) en réalisant un plan quinquennal centralisé. Le Marxisme-Léninisme n’étant que le contre-pied d’un Capitalisme solidement établi, tout se trouvait évidemment en place pour lancer le va-et-vient de la dialectique matérialiste, puissant moteur de l’histoire du siècle dernier.
À présent nous arrivons dans la phase post-moderne, où l’on déconstruit ce qui avait été bâti sur des fondations manifestement instables. On creuse à travers la boue dans l’espoir de trouver un nouvel appui solide, mais la roche manque. Dans ces nouvelles profondeurs la matière n’existe presque plus, selon les centres où la physique des particules s’étudie. À une certaine échelle, elle n’a qu’une apparence fantomatique et dépend d’une fonction d’onde liée aux propriétés du boson de Higgs. C’est un univers où il n’y a plus de « choses solides », ni d’objets manipulables. Et cependant, loin de Marx et de Freud, l’autonomie pointe encore vers le modèle qui va finir par s’imposer: elle incorpore sa propre loi et son propre principe.
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