Soirées culturelles du 12 et 13 juillet 2022
Revenus en dernière minute de notre périple de quelques semaines à travers la Bretagne, la Sarthe et la Vendée, nous avons eu juste le temps de récupérer le pianiste Guillaume Vincent à la gare d’Orthez, le 9 juillet au soir, peu de temps avant les deux récitals programmés pour le courant de la semaine. Dans le cadre de son troisième passage par le Béarn des Gaves, Guillaume était attendu au Château d’Orion, le 12 juillet, avec un programme dédié au Six Moments Musicaux de Schubert, suivis par les Six Moments Musicaux de Rachmaninov, le tout introduit par la Fantaisie No.4, en ut mineur de W.A. Mozart, connue pour ses changements de tonalité gravitant autour d’une tonalité en ut mineur, aux sonorités à la fois tragiques et romantiques.
L’interprétation de Guillaume, où la retenue et l’approche sobre dominent, nous guide hors du monde sombre d'un vide sans nom. L’informe se transforme petit à petit en musique par une montée en intensité qui préfigure la chevauchée musicale romantique que tout le monde attend. Dans l’ensemble nous n’avons pas été déçus, même si la place donnée au vide aurait pu être encore plus grande en adoptant un tempo légèrement plus lent.
Les Six Moments Musicaux, publiés en 1828, à la mort de Schubert, et composés entre 1823 et 1828, avaient été écrits pour répondre à la demande du public Viennois, friand de pièces courtes ou Albumblätter qui pouvaient être jouées et appréciées en petit commité. Sans s’attarder sur chaque pièce, notons l’utilisation de la forme ternaire, constituée de trois sections qui reposent sur l’enchaînement d’une première idée musicale, suivie d’une autre, puis d’une reprise de la première avec quelques variations. L’Air Russe, allegro moderato en fa mineur, composé sur cette forme ternaire, ressemble à la musique de ballet de Rosamunde et à la Marche Militaire. L’oscillation constante entre l’élément majeur et mineur souligne l’aspect dansant et folklorique de cette musique.
Guillaume parvient à communiquer l’aspect poétique de cette musique chantante, où domine la légèreté et l’élégance. Avec Schubert, il suffit de jouer ce qui est écrit dans la partition, sans essayer d’y rajouter des touches personnelles. C’est d’ailleurs ce qui donne un caractère spontané à l’œuvre, dès que le concertiste s’efface. À noter encore, le scherzo en fa majeur du cinquième Moment Musical, très bien exécuté dans la violence rythmique qui le caractérise et qui n’est pas sans rappeler l’introduction pianistique au lied Der Erlkönig (en français Le Roi des aulnes), composé par Schubert à l’age de dix-sept ans à peine, dans la tonalité de sol mineur, exploitée pour souligner l’urgence tragique inscrite dans le poème.
En ce qui concerne les Six Moments Musicaux de Rachmaninov, entendus l’année précédente dans un contexte limité aux œuvres de ce compositeur, il convient de souligner l’aisance remarquable avec laquelle Guillaume s’acquitte maintenant du phrasé romantique, soutenu jusque dans les profondeurs insondables du Presto en mi mineur, où la technique pianistique brille à travers l’assurance avec laquelle elle est maniée. Le travail d’une année consacrée à avancer vers le but d’un enregistrement de l’intégrale des œuvres pour piano de Rachmaninov, montre bien l’étendue de la maîtrise acquise, qui se reflète déjà dans chaque pièce.
Au cours de la journée du 13 juillet, l’attention s’est tournée vers Salies de Béarn, où Guillaume a présenté un programme très différent dans le salon de Cécile et Guy, prestation sponsorisée par l’association Art en Loft. Le programme comprenait deux pièces de Franz Liszt, treize préludes de Serge Rachmaninoff (Op. 32) et trois préludes pour piano de George Gershwin.
J’attendais le Liszt avec impatience, car il s’agissait de pièces que Guillaume avait jouées à l’âge de quinze ans, lors de sa tournée californienne, à San Francisco. Je les avais enregistrées à l’époque avec un matériel professionnel. Il est question de la Vallée d’Obermann (1855), intégrée au cycle La Suisse, premier des Années de pèlerinage de Liszt, puis de la fameuse Méphisto-Valse no.1, écrite en 1860.
La Vallée d’Obermann est une œuvre introspective, qui paraît inabordable à première vue pour un adolescent de quinze ans, ne serait-ce que sur le plan technique. Cette longue et difficile méditation métaphysique, se décompose en quatre parties où la prise de conscience se développe dans une connotation sombre, marquée par des accords pris dans le grave, pour passer ensuite à la sérénité exprimée dans la tonalité de do majeur, avant de retomber dans l’angoisse saisie par des formes chromatiques, construites en octaves jusqu’au fortissimo, qui vont elles-mêmes s’effondrer pour laisser place à la sérénité victorieuse, développée graduellement cette fois-ci à l’aide d’accords triomphants qui vont culminer en fff.
Je n’ai pas été déçu par ce que j’ai entendu, mais à ma grande surprise, la version enregistrée à San Francisco rivalisait encore dans ma mémoire avec la dernière en date. Étonnant, mais difficile à justifier.
Dans le cas de la Méphisto-Valse, par contre, il n’y avait aucun doute quant au bien fondé des améliorations apportées par Guillaume à l’exécution de ce morceau de bravoure. Tout y était : une technique sans compromis, une lecture presque symphonique de l’œuvre, des contrastes dynamiques surprenants, une attention particulière au détail et aux différentes images musicales surgissant brièvement sur le fond d’un galop macabre satanique maintenu de bout en bout. Magique…
Rien à redire, non plus, au sujet des treize préludes de Rachmaninov, dont Youri Glebov dira qu’ils représentent « le sol originel russe… d’un paysage authentiquement russe, non pas imaginé par un esprit enclin ou pittoresque, mais perçu par l’âme sensible du musicien ». Le plus commenté est sans doute le prélude en si mineur, dont l’écriture dramatique est typique de la ligne adoptée par Rachmaninov dans ses œuvres vocales, toutes empreintes d’une nostalgie qui s’identifie à l’attente d’un retour. À ce sujet, voir le tableau d’Arnold Böcklin (Le Retour) ci-dessous, source d’inspiration du prélude op. 32 no 10 en si mineur.
Là encore, Guillaume nous a surpris par l’aisance avec laquelle il s’est déplacé dans ce paysage musical si riche, sans abandonner l’idiome romantique commun à la thématique du programme.
Pour finir, nous avons eu la surprise de découvrir les trois préludes pour piano de Gershwin, courtes pièces jouées pour la première fois à New-York en 1926. Motif de blues, mélodies tristes, jeux de question-réponse : tout était fait pour appâter l’auditeur et l’introduire à une fantaisie, où règnent les pulsations d’un monde nouveau.
Merci à Guillaume pour son détour par nos parages et pour son apport d’artiste de niveau international à la vie culturelle de notre région.
La soirée s’est terminée par une rencontre conviviale dans une rue du vieux Salies autour d’un buffet bien achalandé. Un grand merci à Cecile et Guy pour leur hospitalité et à Christine, comme d’habitude, pour l’intendance et l’ambiance détendue des soirées chaudes d’une semaine dédiée à la musique. Merci aussi à Vera, qui a reçu Guillaume en lui prêtant son Bechstein pour répéter et sa piscine pour combattre les effets de la canicule.
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