Laissez faire Lucifer

Le titre de l’article fait très polar de troisième zone, mais il s’agit de s’appuyer sur une formule poétique suffisamment fluide pour donner un sens immédiat à ce qui nous arrive. Maintenant que les forces de la « lumière » se sont imposées, il faut repartir sur une base incantatoire plus stable pour communiquer avec ceux qui nous dirigent à travers l’obscurité ambiante. 
 
 
Historiquement, nous sommes à nouveau chez Dostoïevski, dans Les démons ou Les possédés, selon les esprits sensibles à la nuance. Monde moderne, aux mains de technocrates ambitieux, où les révolutionnaires de Dostoïevski ont été recyclés en gestionnaires occultes de la santé publique et de l’identité. Politiciens opportunistes, journalistes menteurs, hommes de science sans conscience, nihilistes en blouse blanche, tous guidés par les dogmes pervers de la cité panoptique, nous forcent à vivre dans un état d’urgence permanent, sans qu’il n’y ait de résistance de la part d’une masse citoyenne hébétée et fatiguée.

Vas-y donc, Macron, 
L’Assemblée te laisse faire. 
Vas-y donc, Macron, 
Garde le pass sanitaire.

Il n’y a plus rien à attendre des institutions qui protégeaient jadis le peuple des déprédations de ses maîtres — autrefois aristocrates, à présent vils technocrates — possédés par l’esprit d’un déclin irréversible. De Dostoïevski il faut revenir à Goethe pour comprendre la relation entre l’homme de science contemporain et le « porteur de lumière » (au nom composé de « lux [lumière] » et « ferre [porter] ») qui inspire les chantres du progrès. 
 

De nos jours Faust revient incarné en la personne du docteur Fauci (le vrai Véran), porte-parole de l’industrie pharmaceutique. Il s’agit bien évidemment de l’industrie qui gère le sort du pharmakós voué à disparaître (en grec ancien φαρμακός, « celui qu’on immole en expiation des fautes d’un autre »). À l’époque classique, le mot a fini par prendre la signification de malfaiteur. À présent nous sommes tous des malfaiteurs, des terroristes en puissance qui menacent l’élite fautive, plus que jamais à l’écoute des sirènes du progrès. 
 
 
Pour en revenir à Faust, il faut se rappeler qu’il se présente comme le disciple d’un mode de pensée survenu à l’aube du 19e siècle, époque à laquelle une science pleine de doutes se retire devant les certitudes d'une technocratie ascendante. Les particularités les plus notoires de cette transition sont révélées par madame de Staël dans son commentaire incisif sur l’œuvre de Goethe (de l’Allemagne) :

« […] Si l’imagination pouvait se figurer un chaos intellectuel, tel que l’on a souvent décrit le chaos matériel, le Faust de Goethe devrait avoir été composé à cette époque. On ne saurait aller au-delà en fait de hardiesse de pensée, et le souvenir qui reste de cet écrit tient toujours un peu du vertige. Le diable est le héros de cette pièce ; l’auteur ne l’a point conçu comme un fantôme hideux, tel qu’on a coutume de le présenter aux enfants ; il en a fait, si l’on peut s’exprimer ainsi, le méchant par excellence, auprès duquel tous les méchants […] ne sont que des novices, à peine dignes d’être les serviteurs de Méphistophélès (c’est le nom du démon qui se fait l’ami de Faust) […] S’il n’y avait dans la pièce de Faust que de la plaisanterie piquante et philosophique, on pourrait trouver dans plusieurs écrits de Voltaire un genre d’esprit analogue ; mais on sent dans cette pièce une imagination d’une tout autre nature. Ce n’est pas seulement le monde moral tel qu’il est qu’on y voit anéanti, mais c’est l’enfer qui est mis à sa place. Il y a une puissance de sorcellerie, une pensée du mauvais principe, un enivrement du mal, un égarement de la pensée, qui fait frissonner, rire et pleurer tout à la fois. Il semble que, pour un moment, le gouvernement de la terre soit entre les mains du démon. »

C’est effectivement ça. Et rien ne s’y oppose. Le problème de la science d'aujourd’hui est qu’elle peut tout modéliser, mais seulement sur la base d’équations qu’elle n’arrive pas à résoudre de manière juste. Il s’agit toujours de probabilités, de statistiques : rien n’est sûr à 100 %. Le démon entre dans l’intimité de Faust par une brèche, par un défaut de construction du pentagramme inscrit sur le seuil de sa porte. L’intégrité du signe devait le protéger. Mais aucune construction mentale n’est parfaite, il y a toujours une faille, une aberration aléatoire par laquelle le faux s’y introduit.

De nos jours tout est faux. Même le faux est faux, et cela ne le rapproche pas de la vérité. On ne parle d’ailleurs plus de vérité, seulement de véracité, lorsqu’une source est fiable. Le fait quotidien n’est qu’un événement à présenter de manière crédible. Scsc… comme dans science qu'on silence : c’est le bruit du serpent qui encourage la faute. C’est qu’ils savent y faire les disciples du laisser-faire. Leurs frasques emballent les foules :

Ne me retracez point cette foule insensée, 
Dont l’aspect m’épouvante et glace ma pensée, 
Ce tourbillon vulgaire, et rongé par l’ennui, 
Qui dans son monde oisif nous entraîne avec lui. [Faust, Prologue, tr. Gérard de Nerval] 
 



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