Aux abords du printemps

-2 degrés à Salies dans la nuit du 9 au 10 mars ! Les saints de glace sont encore loin (du 11 au 13 mai), mais le temps s’améliore. La nature parvient enfin à s’exprimer. Les fleurs poussent et les arbres fruitiers, jusqu’ici endormis, explosent en formes asymétriques d’une blancheur sidérante, pétales pointillistes frissonnant au vent sous la lumière du jour qui s’allonge. La vie reprend sur les prairies béarnaises, séparées de hautes haies ou souvent même par des bois. Les surfaces, d’un vert soutenu, ondulent de colline en colline au cœur d’un paysage bucolique, inchangé depuis des siècles. Tout s’agite : la faune locale court pour échapper aux battues menées contre la prolifération des sangliers ; les marchés en plein air attirent une foule de plus en plus nombreuse. Au Béarn des gaves tout renaît et pousse sans effort. Cette année les magnolias sont particulièrement impressionnants. Bien placés sur les plate-bandes accommodantes d’un château ou dans la cour d’une maison noble, leurs branches se parent d’un manteau à grosses mailles rouges ou roses torsadées, posé négligemment sur le fond d’un ciel bleuâtre, barré au sud par la crête neigeuse des Pyrénées. La féerie saisonnière accapare l’attention. 
 

On parle souvent de « ressenti » lorsqu’il s’agit d’évaluer la température extérieure, trompeuse en ce début de printemps. À l’intérieur de soi, le temps reste variable et son évolution se suit grâce à un baromètre magique qui permet de prédire les fluctuations d’un bien-être ballotté par les dépressions passagères. On y retrouve l'échelle hautement suspecte des degrés de l’amour, établie par les romantiques les plus sensibles ou de celles des froideurs de la mort, tirée d’oraisons funèbres dédiées à la mémoire d’un être cher. L’orchestration du deuil par Bossuet, à l’époque de Louis XIV, de même que les extases morbides d’un Novalis, dans les Hymnes à la nuit, mêlent l’amour et la mort pour recréer un état d’âme où tout s’exalte en valeur absolue. Sous l’effet des passions les plus fortes, le ressenti se transforme facilement en ressentiment et la température s’inverse. 
 
 
Cette année, l’arrivée du printemps n’apporte pas l’éclosion vainement attendue des libertés individuelles. La dictature sanitaire se durcit et l’urgence protéenne gérée par les experts entre dans sa phase carcérale. Seuls les aveugles ne voient pas où tout cela va nous mener. La vie masquée étouffe sans oxygène et la rébellion tarde à se manifester. En tout bien tout honneur il faut avouer que la partie est perdue. Pour bien suivre, il nous incombe de cultiver l’analogie existentielle avec ce qui se passe dans les champs, où la qualité de la terre s’est dégradée sous l’effet nocif des produits chimiques. Scénario qui peut s’interpréter comme un avant-goût de ce qui nous attend dans le domaine de l’humain.

Alors que le paysan productiviste saupoudre toujours son champ à grand coup de désherbants, de pesticides et d’engrais, le médecin progressiste s’apprête à vacciner les foules. Pour les « traiter », il utilisera les panacées promues et garanties par les compagnies pharmaceutiques. C’est simple et c’est pratique : plus besoin de réfléchir au cas par cas. Le corps médical a dévoilé son impuissance sans grande pudeur. Castré par la hiérarchie et incapable de se ranger de manière solidaire du côté de la santé, il a révélé une addiction coupable aux molécules miraculeuses qui évitent de « soigner ». D’ici peu, sous l’effet de la chasse au virus, le système immunitaire finira par s’épuiser, tout comme l’environnement. Il n’y aura plus de résistance naturelle pour rétablir l’équilibre vital, que ce soit dans les champs ou dans le corps humain. 
 
 
La transition vers la « vie numérique » s’effectue sans ambiguïté et la foule, guidée par les slogans futuristes, justifie sa propre éradication au vu du consentement tacite qu’elle apporte au projet. Aujourd’hui il faut s’isoler et ne plus voir personne face à face. Demain il faudra faire un effort supplémentaire. Culpabilisé et abusé pour son incapacité à suivre le parcours prophylactique préconisé par les autorités, le citoyen ordinaire n’a rien à offrir aux dévots de la religion du monde « propre ». Son existence n’y est plus souhaitée. Les « inutiles »— encore attelés aux activités non-essentielles consacrées au bien-être— disparaîtront d’ici peu. 
 
Le glas sonne, mais la masse servilement soumise à l'élite égocentrique qui la méprise, rêve encore. Pas de citoyen libre dans la société numérique de demain. Et ce n’est même pas une question de politique ou de valeurs révolutionnaires à adopter. La sélection draconienne, dont les critères se devinent, s’apprête à remplacer la sélection naturelle, moins performante selon les dires des prophètes de l'eugénisme résurgent. On n’arrête pas le progrès. Le fait que la classe politique trouve encore le moyen de saborder ses propres initiatives en les poussant trop loin, n’a pourtant rien de rassurant. Il n’y a plus d’opposition pour reprendre la main. Pas de retour en arrière envisageable et pas de trêve pour réfléchir aux alternatives. La réalité nouvelle s’impose d’elle-même, et les collabos qui cherchent à faciliter son émergence seront un jour obligés de faire face à la disparition de leur propre espèce. Personne ne sera là pour écouter leurs cris outrés, poussés en dernière minute du fond de quelque cellule perdue de la cité panoptique.

Voilà où nous en sommes. Aznavour ne sera même plus là pour chanter l’oraison funèbre de rigueur (mise à jour pour l’humanité nouvelle, entrevue par Gogol dès le milieu du XIXe siècle) :

« Que c’est triste Venise au temps des Âmes mortes 
Que c’est triste Venise quand on ne s’aime plus »

Continuons à prendre soin les uns des autres !
 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Récital Guillaume Vincent – Hommage à Chopin

La lutte contre l’État profond

Au pied du monolithe