Un bal masqué

Depuis mon passage au Festival de Musique des Plantes, à Gaujacq, la semaine dernière, j’hésite à écrire un compte-rendu de peur de ne pas pouvoir communiquer l’essentiel de ce qui ressort des conférences auxquelles nous avons eu le plaisir d’assister, Christine et moi. Le sujet est complexe et s’adresse indirectement à la crise devant laquelle nous nous trouvons à présent, résultat d’une incapacité à vivre en fusion avec ce qui nous aide à vivre. 
 
 
En ces temps de psychose induite par les anxiétés liées à la « pandémie », il est nécessaire de prendre un peu de recul afin de développer une vision plus complète de notre aliénation collective envers tout ce qui nous affecte directement, sans médiation de la part de ceux qui nous surveillent. Le masque qu’on cherche à nous imposer en permanence nous sépare de la nature, des autres et de nous-mêmes.

Nous sommes immergés dans un bal masqué, organisé à l’échelle planétaire. L’image de chacun s’y décline par la richesse des déguisements et le choix des interactions sociales. Hors de cette plateforme carnavalesque, la muselière devient obligatoire. Il faut communiquer le moins possible : dans la prostration, de loin, entre individus sans visage. 
 
 
La musique des plantes, c’est l’inverse. On se rassemble autour d’une plante en pot, de préférence une fougère (l’espèce poussait déjà sur Terre il y a plus de 300 millions d’années), et on écoute. Les études accumulées à ce jour confirment que la plante est consciente et qu’elle réagit en fonction de ce qui se passe autour d’elle.

Au centre du débat sur l’essence de cette musique, il y a bien sur la mécanique quantique. Elle remet en question les postulats d’un matérialisme jusqu’ici inaltérable, nous forçant à sortir des limites d’un mode de pensée dépassé depuis longtemps. Les conférences de haut-niveau du professeur Marc Henry, parti en retraite depuis peu, tournaient autour de l’incidence des travaux de Louis de Broglie et de Joël Sternheimer sur la formulation d’une théorie des ondes d’échelle. Ce sont ces ondes qui assurent la cohérence entre différentes échelles de description et de manifestation d’un même objet physique, dit ‘vivant’. 
 
 
La vie elle-même découle (le terme n’est pas employé au hasard) d’une question que Marc Henry pose dès le début de son livre sur L’eau et la physique quantique (2016) : « l’eau est-elle vivante ? » Le problème de l’origine de la vie se ramène à « l’émergence de la capacité à catégoriser et contrôler un milieu physique. Vu sous cet angle, l’eau présente bien toutes les caractéristiques d’un système vivant. La vie c’est de l’eau dansant au rythme des solides ». Conclusion poétique à laquelle on parvient également par un raisonnement scientifique :

« Le chemin qui mène de l’atome à la cellule est interrompu par un gouffre béant au niveau des protéines, premiers objets possédant une structure mais assurant aussi une fonction. Entre la protéine ‘structure’ du biochimiste et la protéine ‘fonction’, il y a eu émergence. Comme l’avait très bien compris le biologiste hongrois Albert Imre Szent-Györgyi, Prix Nobel de médecine 1937, pour sa découverte de la vitamine C, c’est l’eau qui est responsable de cette émergence ». 
 
 
L’eau interfaciale, qui englobe chaque protéine en l’enrobant de quatre couches nanométriques, abriterait les domaines de cohérence grâce auxquels la ‘fonction’ s’exerce. La cohérence implique un comportement collectif. Il n’est pas question de résumer ici l’argument de presque 400 pages du professeur Marc Henry. C’est irréaliste dans le meilleur des cas. Le plus important, pour la musique des plantes, c’est de passer à une définition plus précise du ‘vivant’ et d’en déduire les possibilités pour la communication entre différents aspects de ce vivant, notamment autour de la genèse de ce que nous appelons le ‘sens’. Il s’agit en gros de progresser d’une information à son ‘sens’: « L’eau via son réseau fluctuant de liaisons hydrogène peut stocker une information ‘vivante’ (dynamique) […] La vie utilise l’information incohérente stockée sur les solides et lui donne du sens via les phases quantiques stockées sur les domaines de cohérence de l’eau interfaciale ». (Structure quantique cohérente et incohérente de l'eau liquide)

Les ondes d’échelle introduisent un mécanisme de transmission du ‘sens’ dans la continuité de l’espace ‘vivant’. En utilisant le modèle de la gamme tempérée, qui permet de transposer des morceaux de musique dans des tonalités différentes sans perdre le rapport qui existe entre les notes, il est possible de mettre en relation des phénomènes vibratoires qui s’expriment dans des domaines de fréquence distincts: de l’échelle quantique à l’échelle cosmique. Il suffit de transposer. Tout ce qui a une masse, a une longueur d’onde, et comme la masse n’est qu’une forme d’énergie, il en découle (en s’alignant sur la loi de la conservation de l’énergie) que la transformation des états d’un système dit ‘vivant’ suit nécessairement un modèle harmonique. Je vous épargne les formalismes. (Ondes d'échelle)

Il est donc possible de ‘changer d’échelle’: d’écouter une plante et de se rendre compte qu’elle a des choses à dire, et que ces choses changent en fonction de ce qui se passe à un moment donné dans l’environnement immédiat. Là encore, je vous épargne les détails pour ne donner que la conclusion : les plantes sont conscientes, ont une mémoire, et communiquent dans un langage musical qui s’exprime au niveau cellulaire par la production de protéines à partir de chaînes d’acides aminés :

« La physique quantique a montré que les particules élémentaires qui composent les atomes, les molécules ou bien les assemblages moléculaires peuvent présenter deux aspects : corpusculaire et ondulatoire. À toute quantité de matière peut être associée une onde quantique dont la fréquence peut être calculée. À partir de ces concepts, la génodique permet de caractériser des ondes particulières, naturellement associées au processus de synthèse des protéines. Celles-ci sont de grosses molécules, synthétisées dans les organismes à partir d’informations provenant de gènes du génome. Les protéines sont un constituant majeur du vivant : elles ont un rôle actif dans pratiquement tous ses processus. Les protéines se composent d’une ou plusieurs chaînes d’acides aminés. Ceux-ci, au nombre de 22, sont des molécules de base qui composent toutes les protéines et sont communes à l’ensemble des organismes vivants. À chaque molécule d’acide aminé correspond une onde dont la fréquence a été calculée. Pour la synthèse d’une protéine, lors de sa transcription sur un ribosome, la succession des accrochages d’acides aminés se traduit par l’émission d’une suite de fréquences caractéristique de cette protéine. Bien sûr, les ondes associées aux acides aminés qui composent les protéines ont des fréquences très élevées, inaudibles pour l’oreille humaine. Cependant, leur transposition dans la gamme audible permet d’en avoir une représentation exacte, homothétique des mélodies associées à la synthèse de chaque protéine. Les observations jusqu’ici réalisées indiquent que les organismes vivants sont capables de reconnaître ces séries de sons harmonisés, directement accordés aux acides aminés dont la séquence compose les protéines et que nous nommons protéodies. » (https://www.genodics.com/genodique.php
 
 
Voilà pour la musique des plantes et les constatations qu’il faudrait en tirer. Il s’agit de l’unité primordiale du ‘vivant’, la nature quantique de l’information stockée dans les domaines de cohérence de l’eau, l’importance des rapports entre ‘fonction’ et ‘sens’, et la genèse musicale du ‘sens’, parfois capable de restaurer une ‘fonction’ lorsque celle-ci est perdue pour une raison quelconque (aspect thaumaturge).Voir aussi biologie quantique

De là, je vais revenir au rituel universel du bal masqué, sujet de cet article, car je dispose à présent de tous les éléments nécessaires à une interprétation plus subtile de sa ‘fonction’. Je sais que je risque de perdre mes lecteurs en entrant dans les dédales de ce labyrinthe, mais tant pis, j’y vais quand-même. J’espère seulement qu’Alain Santacreu, dont je me permets d’utiliser le travail interprétatif dans ce qui suit, me pardonnera les coupures et l’excision d’un certain côté bigot exalté, pas vraiment indispensable à la formulation d’une œuvre ésotérique, qui a malgré tout ses mérites. Il s’agit du roman de Jean Parvulesco, dont le titre Un bal masqué à Genève, n’est évidemment pas étranger au sujet abordé ici. Écoutons Alain Santecreu, qui en décode le sens (http://www.contrelitterature.com/archive/2019/01/08/jean-parvulesco-la-langue-des-oiseaux-et-le-kathekon.html) :

« Il faut lire le roman de Jean Parvulesco, Un bal masqué à Genève, comme le livre-signe de son œuvre. Un signe qui apporte la clé de son écriture romanesque […] Le narrateur […] pourrait bien être le dernier homme. Il a pour nom Jean d’Altavilla et il va devenir au cours du récit un grand héros tantrique. Le tantrisme insiste tout spécialement sur la ‘puissance’ comme moyen et fondement possible de ‘réalisation’ dans les derniers temps. Conception dangereuse qui peut faire percevoir des facultés psychiques comme des possibilités du corps humain. Mais Jean d’Altavilla n’est pas un héros d’opérette, il pratique le Grand Art de l’Opéra. Le titre du roman n’est-il pas une citation d’un opéra de Verdi : Le Bal masquéUn Ballo in Maschera ? Ce que masque cet opéra de Verdi est une Oeuvre au vert alchimique qui doit permettre l’avènement de la Jeune Ève. »

Et c’est là que les choses se compliquent. La Jeune Ève n’est pas un personnage ordinaire. Elle est l’ingrédient indispensable à la réalisation alchimique, qui permet d’intégrer les éléments de manière à entrer en contact direct avec le ‘vivant’ :

« Dès le début du roman, on est saisi par l’utilisation calembouresque de la langue française. L’objet de la quête première du narrateur, c’est le merlot, qu’il faut entendre ‘mère l’eau’ bien évidemment. Car ce qui est dit sur l’eau n’est jamais vain… Et c’est ainsi que commence le roman : par un déluge sur Genève que traverse notre Jean d’Altavilla à la recherche de son pinard préféré. Le récit va opérer l’assèchement de cette eau initiale (O) et sa transformation dans l’air final (R) où se produira l’aurification du lieu des Noces Chymiques préludant au grand vol chamanique du narrateur. D’ailleurs tout cela était déjà inscrit dans le nom même du héros, d’Altavilla, dont nous disions qu’il devient à la fin du roman un grand héros tantrique, c’est-à-dire un vîra – qui se prononce en sanskrit avec un « r » roulé, donc : *vila. L’alchimie intérieure qui va transformer notre héros repose sur diverses pratiques psycho-physiologiques taoïstes, telles que la diététique – la « bouffe » est un moment rituélique du roman –, des exercices gymniques et respiratoires, l’art de l’alcôve […] et aussi certains procédés occultes de visualisation psychique. Ces pratiques procurent des pouvoirs surnaturels tels que ces voyages dans l’espace qui ont lieu grâce au Yangshen, l’énergie spirituelle Yang. Cependant cette faculté de voler n’est pas tout à fait celle des voyages chamaniques car, alors que ces derniers ne sont que des voyages de l’esprit – du Yinshen diraient les taoïstes –, le voyage ici a bien une réalité ‘physique’ ».

C’est en fait un déplacement dans le domaine des ondes d’échelle, où l’assèchement de l’eau correspond à une rupture des liens qui entravent l’identification du héros tantrique avec le cosmos dans sa totalité.

« Et c’est ce qui arrive à Jean d’Altavilla : il acquiert ce pouvoir de voler qu’il appelle le ‘Vril’. Il est libre Jean, il peut voler, car il s’est libéré de ses liens. La libération du narrateur en fait un héros accompli, un vîra. Celui qui est sans lien se conduit à son gré, il est Chakravartin, le monarque universel, celui qui fait tourner la roue du monde. Dans le Vajrayâna, on le place au-dessus du Bodhisattva. Cette voie serait si ardue que, lorsqu’il parvient au terme de sa conquête, tous les êtres du monde, y compris les dieux, lui sont soumis et la mort n’a plus sur lui aucun pouvoir. Cette voie est celle de Jean Parvulesco. Or, ce ‘vril’ qui confère un tel pouvoir divin à notre narrateur, qu’est-il sinon l’anagramme de ‘livr(e)’ ? C’est donc le livre qui, en s’écrivant, délivre le narrateur et lui donne la capacité de voler. Pour le tantrika Jean d’Altavilla, le livre est une femme, car le corps de la femme est le seul lieu où l’homme puisse devenir ce qu’il est, découvrir les symboles de son propre ‘concept absolu’. Ce livre est Dieu. Dieu se montre à l’écrivain sous la forme d’un livre, autobiographie divine, roman total. Ce livre est la forme féminine de Dieu et c’est ainsi que l’a vu Dante : « Nel suo profondo vadi che s’interna / legato con amore in un volume, / cio che per l’universo si squaderna. » (Dans cette profondeur, j’ai vu se rencontrer / et former amoureusement d’un seul livre / tous les feuillets épars dont l’univers est fait.)

Le passage par Dante est indispensable et c’est le sujet de mon prochain livre, Sur les sentiers perdus, où Dante et La Divine comédie occupent une place de choix. Le mystère féminin y est envisagé sous le même angle tantrique. Il ne reste plus qu’à dévoiler les composants du mystère :

« Mais qui est cette femme ? Quel est le nom de la ‘Jeune Ève’ ? Elle est ‘L’. Cette initiale – qui est donnée au lecteur dès le début du roman, dans le chapitre intitulé « Ma faute à l’égard de sainte Odile est grande. » – est une éloquente « doublure diplomatique » : l’eau dite ‘L’ nous indique le secret de l’écriture de Jean Parvulesco, mais elle n’est pas le secret. Dans le roman, ‘L’ se révèle être le personnage de Lena. Ce prénom identifie ‘L’ à ‘N’ [L est N(a)], et dévoile la vraie initiale du secret : cette lettre Noun qui est l’ultime ‘masque rayonnant de la Maîtresse du Milieu du Ciel ’. »(p. 298)  
 
 
« N  : la lettre du milieu du carré magique SATOR, au milieu duquel, sur la ligne verticale et la ligne horizontale, apparaît le mot ‘TENET’ formant une croix. ‘N’ tient la "croix du Verbe" : elle est le Kathèkon. »

Selon René Guénon (Les mystères de la lettre nûn), « Le nûn, dans l’alphabet [arabe], suit immédiatement le mîm, qui a parmi ses principales significations celle de la mort (el-mawt), et dont la forme représente l’être complètement replié sur lui-même, réduit en quelque sorte à une pure virtualité, à quoi correspond rituellement l’attitude de la prosternation ; mais cette virtualité, qui peut sembler un anéantissement transitoire, devient aussitôt, par la concentration de toutes les possibilités essentielles de l’être en un point unique et indestructible, le germe même d’où sortiront tous ses développements dans les états supérieurs ».

L’être complètement replié sur lui-même est le produit du bal masqué de la fin, qui entre dans sa dernière phase. Le Kathèkon est la fonction propre du tantrika, liée à son comportement adéquat.

Le carré Sator a fasciné de nombreuses générations. Ce symbole a été trouvé en l’an 79, dans les ruines de la ville de Pompéi, détruite la même année par l’éruption du Vésuve. Personne ne sait qui en est l’auteur. Selon les historiens, le carré Sator était un signe secret utilisé par les chrétiens pour se reconnaître. Si tous les chercheurs semblent s’accorder sur ce point, les interprétations divergent sur la signification de l’inscription.

TENET, ‘il tient’, troisième forme de l’indicatif présent actif du verbe latin tenēre, correspond bien à la fonction du Chakravartin qui tient la roue du monde et fait danser les foules participant au bal masqué. C’est aussi le titre du film de Christopher Nolan, au budget estimé à 225 millions de dollars, qui figure parmi les films les plus attendus de l’année 2020. (https://www.7sur7.be/cinema/avec-tenet-christopher-nolan-nous-retourne-le-cerveau-et-c-est-ca-qui-est-bon~a9182563/
 
 
 

Commentaires

  1. Passionnant! Thx...guess we’ll have to « tenet » a little longer now for Nolan screening-/

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