Soirée culturelle du 6 août 2020
En dépit des circonstances adverses (masques, chaleur, etc.), nous venons de rebondir en hébergeant un programme musical intime et particulièrement attrayant. Récital en solo de Jacques Bernaert, violoncelliste virtuose, que nous connaissons depuis longtemps et que nous avions entendu l’avant-veille, à Bilhères, avec le Quatuor Gounod. Jacques nous a gâtés, devant un public très réceptif, venu malgré la canicule en cette fin de journée d’août (37o).
Voici l’affiche :
Troisième suite en do majeur BWV 1009, de J.S. Bach
- prélude
- allemande
- courante
- sarabande
- bourrées
- gigue
« Les quatre vents » (2018), de Christine Massetti
Adagio de la sonate op. 8 pour violoncelle seul (1915), de Zoltán Kodály
L’ordre de présentation, bouleversé en dernière minute pour donner une petite place à l’air archi-connu des Bachianas Brasileiras de Villa Lobos, interprété en prélude par Alexa Parr, n’a pas trop affecté l’impression générale. La transition auditive vers Bach, en passant par Kodály et Massetti, était nécessaire et fut réussie grâce au chamboulement improvisé. La soirée musicale s’est terminée sur l’air du Cygne, de Saint-Saëns (Le Carnaval des animaux), dédié à Christine, et joué sur le fond d’un accompagnement orchestral, sorti comme par magie du téléphone portable de Jacques. Un grand merci aux solistes et au public.
Le luxe aujourd’hui, c’est de participer à des manifestations d’un art qui ne survivra pas longtemps en l’absence de rassemblements réguliers. De distanciation sociale en distanciation sociale, il ne restera plus qu’un faible écho de cette ambiance musicale, conçue pour être vécue dans l’intimité. On ne muselle pas impunément un concertiste. L’art dégénère lorsque le contact avec le public disparaît. Le musicien s’adapte aux injonctions sanitaires décrétées par les maîtres de la cité panoptique, mais ne les approuve pas. Les gens se murent trop facilement dans une isolation néfaste. Peut-être sont-ils déjà morts, et ne s’en aperçoivent-ils pas ?
Un conformisme aveugle tue plus sûrement que l’arme la plus meurtrière. Il étouffe, bâillonne et nous empêche de respirer l’air réservé aux insoumis. Le concertiste ne peut pas jouer dans une salle où le risque n’est pas admis. Toute sa vie est faite de risques. Le lien fragile avec le public ne sera pas restauré une fois la cassure faite. On peut jouer, mais la complicité partira avec la méfiance. Elle ne reviendra peut-être jamais.
Jacques Bernaert était passé chez nous, en Californie, il y a vingt-cinq ans environ. Il était venu avec l’octuor de violoncelles (Tempo di cello) qu’il avait fondé, et Christine avait organisé une série de concerts pour son ensemble. Les huit jeunes musiciens que Jacques mettait à l’épreuve en les amenant faire une tournée internationale avec un groupe instrumental exotique, travaillaient d’arrache-pied pour cultiver leur art. Je me souviens de soirées tardives, avec 8 violoncelles abandonnés au milieu du salon, qui reprenaient soudainement vie lorsque le désir de faire de la musique devenait insoutenable. À l’époque, j’avais mis la main sur une caisse de Meursault et nous n’avions eu aucun mal à nous partager un grand saumon fumé d’Alaska, arrivé à point pour rassasier nos appétits et prolonger nos rencontres animées.
Tout récemment encore, Jacques insistait sur ces souvenirs: « Dis à Michel », écrivait-il à Christine, « que l’aria de Stradella, c’est très beau… » Avec vingt-cinq ans d'écart, il se rappelait toujours du soir où il m’avait fait chanter le Piétà, Signore ! de Stradella, accompagné par l’octuor au complet, dans une transposition difficile (beaucoup trop basse). Le souvenir reste lorsque c’est réussi : Gran Dio ! Giammai…
Bach et Kodály, c’est de l’introspection pure et un luxe existentiel qui ne reviendra pas vers un public qu’on isole. Je deviens carrément intolérant vis-à-vis de cette soumission sournoise, qui s’affirme dans un fanatisme à peine déguisé. Ars longa, vita brevis… Ce n’est pas le COVID qui nous tuera, mais notre indifférence à ce qui nous fait vivre.
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