Volonté d’impuissance

On croit rêver… L’actualité déroule ses bandes sur toutes les chaînes de télévision, mais les images semblent provenir d’un épisode de La planète des singes, où les simiens sont fermement installés au pouvoir, avec l’humanité en cage. Aux États-Unis, nous sommes passés instantanément d’une isolation très stricte, aux bains de foule journaliers institués par la dernière révolte contre le racisme et les exactions policières.


Série à la Netflix, avec ses héros, ses méchants, ses traîtres et ses rangées de pénitents agenouillés en public, sous l’œil des caméras, pour demander pardon. On pourrait presque croire qu’il s’agit de quelque chose de spontané: d’un soulèvement des masses populaires (comme on disait autrefois), prélude à une action militante universelle, capable de renverser les préjugés existants et de soumettre un capitalisme débridé, avant d’endiguer les dérives d’une politique élitiste à tendance totalitaire.



Mais voilà, quelques images jurent avec les explications et les directives en vigueur. Je ne sais pas si le lien ci-dessous parviendra à survivre à la censure au-delà de quelques jours, mais c’est celui que j’ai choisi pour illustrer ce qui cloche avec le scénario révolutionnaire. L’image est à contraster avec celle de la garde prétorienne, en début de texte.


Voilà pour les dernières nouvelles. Il est temps de prendre un peu de recul afin de revenir à des interrogations plus subversives. A l’heure où tous les grands discours s’adressent à l’élaboration d’un plan de sortie de crise, l’envie me prend de partir à contre-courant et de me demander si l’effort en vaut la peine et doit nécessairement être fait ? La survie de la civilisation, qu’elle soit occidentale ou orientale, est-elle vraiment souhaitable à ce stade ? Est-ce un projet réaliste ?

Croire ou ne pas croire en l’homme ? 

La question doit encore être soulevée et les enjeux sont de taille. En cette période postmoderne, post-pandémique, pseudo-révolutionnaire, post-humaine, elle doit être posée sans recourt à l’optimisme conventionnel injecté dans la conscience collective par le siècle des Lumières. Les mois de confinement ont mis à nu une humanité incompétente, impuissante, dépassée par le déroulement des événements. L’effet dévastateur des simulacres mis en place par les réseaux sociaux et les médias se révèle petit à petit. Mais ça n’a aucune importance : on passe sans sourciller à la crise suivante. On se regroupe, on s’aligne vite derrière les moins compétents et on repart à l’assaut.


Nul besoin de revenir sur les thèses de Jean Baudrillard pour comprendre que la « réalité » n’existe plus depuis longtemps. Le monde de l’« illusion » permanente, dans lequel nous vivons, n’est absolument plus gérable par les gens d’en bas, ne serait-ce qu’en réaction à l’accroche narrative ou story telling imposé d’en haut.

Tout va beaucoup trop vite.

En haut, c’est le bureau d’études de l’architecte de la cité panoptique. C’est là que tout se précise en gros : le déroulement du récit, sa composition dramatique en scènes et en actes, puis le casting (terme qui correspond le mieux au processus de sélection des acteurs de la classe politique). Il s’agit d’un véritable opéra hyper-Wagnérien, aux « motifs » conçus pour jongler avec les thèmes. Le cadre conceptuel, avec ses mots-clés (progrès, technologie, tolérance, liberté, etc.), dans lequel l’action se situe, permet d’établir la cohésion de base entre les thèmes. L’illusion crédible se transforme en pseudo-réalité.


En bas, c’est le monde du consommateur hébété. Gavé d’informations sans valeur nutritive — pour l’esprit, en tous cas — celui-ci se débat sous une avalanche de messages contradictoires. Il s’agit de le maintenir dans le doute et de le soumettre au flux d’une oscillation constante entre deux pôles. Oscillation qui orientera son positionnement politique au bon moment. Au-delà de la garde prétorienne, c’est la peur d’un retour aux années noires qu’on agite pour dissuader les insoumis et les empêcher de s’attaquer au quartier général de la cité panoptoique. Il faut faire barrage : « Pas ça ! pas ça ! »



Une action politique indépendante, dans une société composée d’individus polarisés et mentalement confinés, n’est même pas envisageable. Elle ne sera d’aucune efficacité et ils le savent. C’est pour ça qu’ils se contentent d’en faire le moins possible. Pas besoin de grosse répression quand la plupart des gens se répriment d’eux-mêmes.

S’il est vrai que la carte ne reflète plus les contours du territoire, l’information, en tant que telle, ne permet pas de se positionner. Elle est noyée dans un bain d’images, de sons, de discours qui masquent la réalité consensuelle ancienne, appelée à disparaître. L’homme isolé, réduit au dénominateur commun le plus bas (au chiffre 1, qui détruit l’unité collective), se transforme en grain de sable à cimenter au plus vite dans les murs de la cité panoptique.

Non, on ne peut plus croire en l’homme. L’humanisme est une doctrine caduque. L’intelligence artificielle s’en apercevra.

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