Univers parallèles
Huit heures du matin : Alexia et moi venons de déposer Christine à l’aéroport de San Francisco, point de départ d’un long périple vers Paris, mais aussi vers les dimensions cachées de l’univers covidique qui nous préoccupe. La première étape de ce voyage, digne d’une série de science-fiction, se fonde sur une image indélébile (et peut-être même débile) : celle d’un passager hyper conscient des normes de distanciation sociale en vigueur.
Pour plus de précision, il s’agit du hall d’embarquement du terminal 3, de l’aéroport de San Francisco. Nous sommes en plein rêve éveillé. Ce n’est pas un astronaute qui part en direction de la Lune dans la dernière fusée de SpaceX, développée pour mettre les voitures d’Elon Musk en orbite autour du soleil, mais un passager ordinaire qui s’assume, prenant le risque de monter dans un avion de ligne quasiment vide en cette période de pandémie galopante.
La dissonance cognitive suit son cours. Dans la baie de San Francisco, tout n’est que contraste depuis quelques jours. Les cafés et les restaurants s’ouvrent aux foules déconfinées, et elles s’y précipitent. Les espaces sauvages, administrés par l’État de Californie (parcs régionaux et plages compris), par contre, sont tous barricadés, et leurs entrées soumises à une surveillance continue. Les patrouilles de police, chargées d’endiguer les intrusions intempestives de contribuables en manque d’air frais, sont partout. Voici une photo prise hier, avec Christine en avant plan, qui enregistre clairement le niveau de fréquentation de la plage de Jenner, à l’embouchure de la Russian River, sur la côte Pacifique. Il n’y a personne :
Avec des centaines de kilomètres de plages du même genre à leur disposition, les gens courent sûrement le risque d’enfreindre les règles de distanciation approuvées par les gens de l’ombre qui nous manipulent. D’ici quelques semaines, la Californie arrivera probablement à copier les mesures géniales mises en place à La Grande Motte, dans le Midi de la France, où la zone aménagée pour les bains de soleil a été quadrillée en espaces numérotés, tous accessibles pour un temps limité, en fonction de la demande, elle-même gérée par un système de réservation tarifé. Comme le chantait si énergiquement Jacques Brel : « Au suivant ! »
Mais je m’égare…
Il est temps de revenir à l’époque excitante des cap-horniers chargés d’or, partis vers les mers du sud et les quarantièmes rugissants. En attendant les nouvelles des escales de Christine (Newark, Amsterdam, Paris) je me trouve dans un état d’esprit comparable : inquiet et à l’affût. Il faut absolument savoir si les choses vont se dérouler comme prévu. Je sais pourtant que l’univers parallèle des réalités covidiques est imprévisible. Déçu et perdu dans mes pensées, je me livre alors à des réflexions hasardeuses, inspirées par le gouffre qui s’ouvre sous nos pas.
En ce qui concerne les Français, je ne sais pas. Mais les Américains commencent à remonter dans mon estime. Pas tous, bien sûr, mais certainement ceux qui refusent de se mettre à genoux en ces moments propices aux décisions arbitraires. Les « autorités » et les « experts » exigent beaucoup et nous demandent de nous « réinventer ». Il faut aller de l’avant, ne pas se poser de questions et ne surtout pas s’adonner à des spéculations complotistes rejetées par la presse aux ordres. C'est très mal vu. Signaler l’incompétence de la classe politique, va encore, mais gare aux théories qui suggèrent une manipulation plus vaste, synchronisée à l’échelle mondiale. Les faits, pourtant, sont clairs :
« Le 30 janvier 2020, le directeur général de l’OMS a déterminé que l’épidémie de coronavirus constituait une urgence de santé publique de portée internationale (PHEIC). La décision a été prise sur la base de 150 cas confirmés en dehors de la Chine. Premiers cas de transmission de personne à personne : 6 cas aux États-Unis, 3 cas au Canada, 2 au Royaume-Uni. »
(source : https://www.mondialisation.ca/la-globalisation-du-capitalisme-le-gouvernement-mondial-et-la-crise-du-coronavirus/5645598)
Ah, la Chine… source de tous nos problèmes : sanitaires (la pandémie vient de chez eux!), économiques (ils se croient meilleurs que nous !) et politiques (ils contrôlent tout grâce à un régime totalitaire qui va nous envahir en cachette). Mais comment a-t-on pu passer de 150 cas répertoriés dès le début de l’épidémie, au stade d’une pandémie globale qui devait faire des millions de morts, aux dires des experts? Eh bien c’est simple : on n'a rien fait. Rien n’a été géré, sauf la peur. Une fois la contagion assurée (frontières ouvertes, pas de protocole de dépistage, urgences saturées), on est passé à une politique de confinement grotesque, conçue pour sidérer les populations et les empêcher de s’organiser localement. Ne rien faire, c’est encore faire des dégâts par omission.
Au stade où nous en sommes, il n’y a plus d’échappatoire, surtout en aval de la crise. La presse commence à avouer que les chiffres de la pandémie étaient surestimés. Mais les choses ne vont pas s’arrêter là. La descente aux enfers n’en est qu’à ses débuts. L’eau bouillonne sous la toile semi-rigide des radeaux pneumatiques lâchés vers les gorges étroites. Avançant en crabe, l’embarcation de tête dérive rapidement, se dirigeant vers les rapides de classe VI, encore inexplorés. Les cataractes grondent et le bruit des eaux ne laisse aucun doute : ça va être sportif.
Dans le radeau amiral en détresse, imprudemment surchargé de capitalistes inutiles, trônant encore sur les rebords gonflés, une grappe de bourgeois méfiants, tapis au sol, s’accroche aux cordages. L’heure des comptes approche.
Les technocrates des GAFA, qui ont organisé cet exercice de team building, observent son déroulement à partir de la tour centrale, située au cœur de la cité panoptique. Munis d'une vue imprenable sur l’univers parallèle qu’ils contrôlent, ils sont au calme, presque en vacances. Leurs drones survolent la flottille maudite, cherchant à l’encadrer pour ce dernier voyage. Mais c’est surtout aux pneumatiques qui suivent le radeau amiral qu’ils s’intéressent. C’est là que se trouve la masse des rescapés emportés par le déluge économique. La plupart refusent de communiquer sans masques. Leurs embarcations s’éloignent les unes des autres pour bien marquer la distanciation sociale exigée par les drones. « Tout va bien ! Tout va bien ! », hurlent les haut-parleurs. « Réinventez-vous ! Rise up to the challenge ! Chacun pour soi et le veau d’or pour tous ! »
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Christine vient d’arriver à Newark. Le vol d’United Airlines était pratiquement vide. L’activité des correspondances se limite ici au terminal C, mais l’aéroport est connu pour ses couloirs sans fin. Une heure de battement, suivie d’un kilomètre de marche pour arriver à la porte d’embarcation du vol d'Amsterdam. Les consignes sont simples : toujours la même compagnie. Les liaisons directes, partant de la côte Ouest des États Unis, ont été annulées. Christine a pu embarquer après avoir fourni une attestation sur l’honneur, certifiant qu’elle n’avait pas de fièvre, ne toussait pas, et n’avait pas sciemment côtoyé des gens infectés par le COVID-19 avant la date et l’heure enregistrées dans le document officiel. C’est rassurant…
En attendant des nouvelles plus édifiantes, je plombe les profondeurs de la vie sentimentale de nos contemporains :
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Il est vrai que le mot « solidarité » n’a plus de sens aujourd’hui. Dans les limites de la concurrence brutale des jours radieux qui nous attendent, ce terme syndicaliste a été remplacé par un euphémisme plus nuancé, porté par une formule que d’aucuns considèrent comme une perversion du slogan populaire, utilisé librement jusqu’ici (Tous ensemble, tous ensemble!). Le nouveau mot d’ordre est anglais. Il est bien plus inclusif : We’re all in this together ! Quel bonheur !
La clé de voûte de la parole perfide en marche, c’est le démonstratif this, qui se traduit généralement par « cela » en français. Il suggère une traduction littérale facile à interpréter : « Nous sommes tous dans cela ensemble ! ». Bref, une solidarité restreinte au cadre du cela, spécifié par un démonstratif abstrait, qui se rapporte à n’importe quelle expérience catastrophique vécue. Le nous tous qui s’y rattache, permettra d’extrapoler le statut de victime à la hiérarchie entière, si besoin. C’est l’avantage du démonstratif. Il démon-tre que l’on peut être inclusif si l’on reste dans le domaine de l’abstraction. Avec un peu de chance on arrivera même à rétablir la solidarité entre les premiers de cordée et ceux qui les suivent, sans s’attarder pour autant sur la contribution de chacun à la situation catastrophique dans laquelle on se trouve. C’est commode et c’est pratique. Rien que des victimes, et surtout pas de responsables.
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Il est minuit et demi. Christine est bien arrivée à Amsterdam. J’avais essayé de lui téléphoner peu après l’atterrissage de son vol, mais elle n’a pas répondu. J’ai laissé un message, puis je me suis endormi. Un coup de fil tardif arrive, il faut que je me réveille. À Amsterdam tout va bien. Aucun contrôle sanitaire à la descente d’avion, pas de quarantaine, juste une longue attente avant de pouvoir prendre le vol d’Air France à destination de Paris. Mais peu de toilettes accessibles et pas d’ascenseurs non plus. Idéal pour les transports de bagages. D’habitude nous voyageons avec un sac à dos léger, mais en l’occurrence Christine se retrouve avec quelques 50 kg de bagages, répartis en deux valises, avec un sac supplémentaire. Le pied ! Une des valises a disparu et Christine ne la retrouve pas au carrousel. Elle s’adresse au personnel de la compagnie aérienne, remplit des papiers, mais l’agent interpellé découvre que la valise est bien là, sur le carrousel, avec trois autres valises qui tournent à l’infini dans l’espace covidique néerlandais, là où la mémoire se perd plus vite qu’ailleurs.
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Je continue… Je tiens encore à exprimer mon respect pour les citoyens réfractaires au catéchisme officiel. Ils s’acharnent à présent sur le professeur Raoult et ce pauvre Donald Trump, qui aurait pu faire de la réclame pour Orange dans une autre vie, plus productive. Bête, grossier, fasciste, phallocrate, c’est le mouton noir indispensable aux gens bien pensants, qui nous interpellent avec leurs idées originales, pleines de finesse et de sensibilité.
Je n’aime pas Trump, mais j’aime encore moins le lynchage médico-médiatique auquel il a été soumis, avec Raoult en hors-d’œuvre.
Le controversé professeur Raoult, vaniteux et sans compassion aucune pour les masses confinées, infectiologue de second rang selon la presse et les experts, vient d’être mis à l’index par les spécialistes de la revue « scientifique » anglaise Lancet, qui prend la relève du professeur Neil Fergusson, épidémiologiste renommé, responsable de la débâcle prévisionnelle sur laquelle la nécessité du confinement se basait. On l’appelait Mr. Lockdown, juste avant qu’il ne démissionne, décrédibilisé. Il sera vite remplacé à l’occasion. On ne manque pas de putes dans le monde anglo-saxon. Mais c’est prouvé : on n'a plus le droit de croire en l’efficacité miraculeuse de hydroxychloroquine. Les hérétiques sont condamnés à l’unanimité.
Quelque chose me gêne lorsque que les journaux et les chaînes de télévision officielles s’enthousiasment pour marginaliser une opinion contraire. D’autant plus que la solution préventive est généralement sans risques, relativement efficace et pas chère, alors que le protocole officiel est contraignant, onéreux et sans utilité démontrée. Il faudrait attendre, attendre et attendre… La baguette magique (le vaccin) finira bien par transformer le prince en crapaud. C’est évident. En attendant, le choix reste facile : on peut dépendre des pharmacopées industrielles ou travailler au bien-être de son système immunitaire, en adoptant une diététique saine et une vie sans stress.
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Christine vient d’arriver à Paris, fatiguée par un voyage de 24 heures, mais en bonnes mains. Michel (le beau-père d’Alexia) est venu la chercher pour l’amener au Mans, en zone verte (j’ai failli dire en « zone libre »). Elle y restera le temps de récupérer, avant d’entreprendre l’étape finale vers Salies de Bearn, où les herbes seront hautes et les oiseaux bruyants. Je devrais la rejoindre dans le courant du mois de juin ou début juillet, au plus tard.
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En attendant, dans l’univers parallèle il fait nuit. Le radeau amiral avance entre les falaises, toujours en tête. Le timonier observe un quart serré.
À suivre...
À suivre...
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