L'ordre viral

Le panoptique est un type d'architecture carcérale imaginée par le philosophe utilitariste Jeremy Bentham et son frère, Samuel Bentham, à la fin du XVIIIe siècle. L'objectif de la structure panoptique est de permettre à un gardien, logé dans une tour centrale, d'observer tous les prisonniers, enfermés dans des cellules individuelles autour de la tour, sans que ceux-ci puissent savoir s'ils sont observés.
(source: Wikipédia)




Il faut bien commencer quelque part...

Ceux  qui me connaissent savent que nous sommes en mai 2020, et que je me trouve en Californie, depuis presque trois mois. Chronologie et précisions géographiques inutiles, puisque le temps est suspendu depuis le mois de mars et que la Californie virtuelle s'est installée sur les réseaux sociaux du monde entier, suite au déploiement massif de ses furets fouineurs, consommateurs robotisés de nos données personnelles, partis installer les pièges à loups d'un ordre asocial omniprésent. Ordre supranational dont la vocation panoptique s'affirme aujourd'hui sans ambiguïté.

Disons-le sans tarder: il n'y a plus de terre lointaine où se réfugier pour échapper à l’œil exercé des surveillants de la cité nouvelle.  D'ailleurs, ils ne se contentent pas d'observer. Ils disposent aussi d'outils puissants, leur permettant d'initier des mouvements de foules programmés à l'échelle globale. De simples consommateurs aux goûts changeants, qu'il semblait bon connaître pour influencer leurs achats, nous sommes devenus des rats de laboratoire anonymes sur lesquels s'effectuent des expériences mentales aux motifs inavouables.

À présent, la dynamique du milieu social n'est plus la même. Plus question de décider de quoi que ce soit d'important, ni individuellement, ni en groupe. La récréation est terminée. L'espace politique multi-communautaire, dans lequel ma génération a réussi à grandir jusqu'à l'âge adulte, se quadrille en cases de plus en plus petites, destinées aux nullités constituantes d'une humanité infantilisée à l’extrême. Chacun doit y trouver sa place, fermement isolé de ses racines naturelles, culturelles et si possible de ses proches. Les directives des technocrates qui guident ces transformations sont diffusées de manière hautement répétitive et s'appliquent de façon arbitraire à des groupes de cellules répondant à des comportements prévisibles précis, plutôt qu'à des besoins légitimes bien identifiés. Le mensonge est partout et les oppositions institutionnelles s’avèrent factices ou fictives. Le dernier coursier de l'esprit est l'intellect, mais celui-ci s'emballe devant la complexité des problèmes à résoudre. Le robot du futur menace le travailleur, le fonctionnaire est désormais inutile, l'intelligence artificielle s'occupe de tout, et l'argent mesure la réussite. En ville, l'air est irrespirable, l'eau et la terre sont polluées, les ressources naturelles surexploitées-- mais on nous prie de croire au progrès, car les scientifiques ne désespèrent pas de trouver une planète habitable à quelques centaines d'années lumière de la Terre dans un avenir proche.

Voilà où nous en sommes.

Les pandémies sont bien sûr à l'ordre du jour et la cité panoptique se prépare à nous "vacciner" régulièrement, sans plus tarder. Pas tant pour nous prémunir ou nous guérir d'un virus réel ou hypothétique, mais pour nous protéger de ces nouvelles, dites "fausses", qui se propagent malencontreusement sur les réseaux sociaux. L'information officielle est crédible par définition. Elle véhicule les alertes les plus chaudes, transmet des ordres adaptés à la lutte contre les déviants, et se charge de fournir des analyses pertinentes, parfois contradictoires, fondées sur des modèles et des tendances dont le pouvoir prédictif est prudemment avancé. Ce qui est vrai aujourd'hui ne le sera peut-être pas demain. Le responsable d'antan devient un simple décideur, choisi pour affirmer le choix des experts.

Pour que la cité panoptique prospère (on ne parlera plus de civilisation), il faudrait qu'une peur constante agite le citoyen lambda. Si pour lui rien n'est sûr, il ne sera sûr de rien. Les proclamations les plus hallucinatoires le trouveront réceptif, pourvu qu'elles proviennent d'un centre où siège l'autorité. L'autorité rassure: c'est sa fonction principale.

Une petite histoire pour terminer cet article.

Hier, une amie californienne de longue date avait l'intention de nous inviter à dîner, Alexia, Sylvain, Christine et moi: le tout dans le cadre d'une distanciation sociale prudente, au fond de son jardin. Prise de panique, elle a changé d'avis à la dernière minute, nous expliquant qu'elle vivait seule et qu'il n'y aurait personne pour s'occuper d'elle dans le cas où l'un d'entre nous serait porteur du COVID-19 de manière asymptomatique. Elle avait peur d’être contaminée sans qu'elle ne le sache. Avait-elle tort ou raison?

À chacun de tirer la morale de cette histoire...

En tant que fantôme de la cité panoptique, porteur d'une pensée subversive bien évidemment asymptomatique, je me tiens à distance de mes interlocuteurs. Suis-je contagieux? Sûrement. Mais j'observe les règles de distanciation sociale, fournies par les autorités, de façon stricte. Si vous n'avez pas peur, n'hésitez pas: approchez... approchez...

    

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